Caroline De Allegri a posé les bases de plusieurs fonctions RH dignes de ce nom dans des institutions semi-publiques du canton de Vaud. Elle est surtout appréciée pour sa délicatesse et sa sincérité.
Sa capacité d’écoute et son authenticité se tiennent dans un mouchoir de poche. Elle maîtrise l’une et l’autre à merveille. Son partenaire de vie et d’affaires, Marco Brienza, raconte cette anecdote: «Elle a été mandatée un jour pour un licenciement. La situation était délicate et la tension forte. Elle a écouté et a su trouver les bons mots. Quelques semaines plus tard, la personne licenciée lui téléphonait pour la remercier!» Voici donc Caroline De Allegri, responsable RH à temps partiel à l’association ARAS Nyon (social) depuis 2018 et consultante au cabinet Odienz, qu’elle a créé en 2016 avec son compagnon. Une femme à poigne dans un gant de mérinos. Elle-même se décrit plutôt comme une transformatrice RH. Et dit aimer profondément les gens et la justice.
Elle entend, écoute et soutient mais souhaite avant tout donner les impulsions pour faire grandir l’autre et l’organisation. Elle nous accueille fin août à l’espace de coworking La Serre dans le quartier des Fiches-Nord à Lausanne. Elle est «un peu stressée». Elle sourit: «Je n’ai pas l’habitude d’être dans la peau du candidat».
Nous sommes là pour parler des ingrédients de base d’une fonction RH professionnelle. Au fil des ans, c’est devenu sa marque de fabrique. Caroline De Allegri a mis sur pied les services RH de trois institutions semi-publiques du canton de Vaud. A chaque fois, elle arrive, elle observe puis elle construit en partant de l’existant et toujours en partenariat avec les équipes.
Coup de bluff
Sa première mission démarre sur un coup de bluff. Fraîchement diplômée en psychologie du travail de l’Université de Neuchâtel, elle envoie une offre spontanée à la Fondation Asile des aveugles pour un poste d’assistante RH. «Je n’avais aucune expérience», confie-t-elle. Paul Sarbach, le directeur de l’époque, dit oui. Le patriarche dirige cette institution, avec un service du personnel dont la mission consiste principalement à gérer l’administration des salaires et des assurances sociales.
«A mon premier jour, je crois qu’ils avaient oublié ma venue…». Le patron l’installe dans un bureau vide et lui propose de revoir les statuts du personnel. «J’ai donc été plongée dans le bain dès le début. L’Asile des aveugles est une fondation privée reconnue d’utilité publique, une organisation complexe, avec plusieurs ramifications et une longue histoire.» Elle découvre une institution attachée à son histoire, un paquebot à plusieurs étages avec plus de 25 métiers. Y règnent le mythe des carrières à vie et des pratiques de recrutement exotiques. «On m’avait demandé par exemple de ne pas retenir les candidats qui avaient collé plus de deux timbres sur leur lettre de motivation!» Avec habileté et profil bas, elle commence par observer les dynamiques, à tisser des liens et créer des alliances.
Elle parvient rapidement à rassurer la responsable des salaires, qui ne comprenait pas comment une femme sans expérience puisse gagner 5000.- par mois. Caroline De Allegri lui fait allégeance, apprend et ose faire bouger les lignes. «J’ai commencé par mettre en place un processus de recrutement professionnel, avec des annonces-type, des compétences à cibler et de l’objectivité dans la sélection des dossiers. Elle instaure aussi un partenariat avec les acteurs du terrain. Une opération pas toujours évidente dans le milieu hospitalier. Elle ose: «Les médecins pouvaient avoir des égos surdimensionnés. Ce n’était pas évident de recruter leurs assistantes. Ne pas cacher les exigences de certains docteurs tout en mettant en avant l’attractivité du poste.» Les choses ont un peu changé depuis, précise-t-elle.
«Je fais ce que je dis»
Comment fait-elle pour trouver sa place dans ce panier de crabes? «Je dis ce que je fais et je fais ce que je dis, cela crée la confiance», répond-elle du tac au tac. C’est son côté ferme. Après le recrutement, elle met en place un processus d’accueil (lettre d’accompagnement, contrat, documents d’accueil et une feuille de route à suivre pour le 1er jour, la première semaine et les trois premiers mois.) «Ma spécialité est la simplicité. Formaliser par écrit et avoir une trace, oui, mais le tout doit rester facile et compréhensible.»
Son processus d’onboarding inclut une visite guidée de toute l’organisation. Elle commente: «Le fait de se déplacer dans les différents lieux de l’institution a permis de rapprocher les gens, de briser les silos et d’insuffler de la transversalité dans les pratiques. Un hôpital devrait être une équipe multidisciplinaire avec le patient au centre. Ce n’est pas toujours le cas…».
Elle s’attaque ensuite au processus d’évaluation qui manque de ligne de conduite. Afin de comprendre et d’identifier les pistes, elle s’invite aux entretiens et observe. Résultat: les bruits de couloir sont justifiés. Le processus ne résolvait pas toutes les situations et encore moins les cas critiques. «J’ai donc tout stoppé, le temps de former le management et de revoir le processus.»
Petit à petit, le service du personnel se professionnalise. Avec l’arrivée du nouveau directeur, Yves Mottet (le prédécesseur de Vincent Castagna, en place aujourd’hui), l’institution engage une DRH (Françoise Riem- Vis) et étoffe l’équipe RH. Elle se souvient: «On m’avait proposé de reprendre la direction RH mais j’avais besoin de quelqu’un au-dessus de moi pour me nourrir. Avec Françoise, nous avons revu la formation des managers, mis en place un dispositif de gestion des conflits, créé une politique de santé au travail, décrit tous les processus RH dans le cadre de la démarche ISO et développé une approche Business Partner.»
L’équipe RH grimpe à 8 personnes en 2013. Elle décide de relever un nouveau défi.
Structure et méthode
C’est la Fondation La Pouponnière et l’Abri de Lausanne (250 collaborateurs) qui l’engage. Le directeur Bruno Dell’Eva apprécie surtout son expérience avec ISO. Elle raconte: «Ce n’est pas le label qui l’intéressait, plutôt un besoin de structure et de méthode.» A son arrivée, la Fondation fonctionne principalement de manière décentralisée: l’enjeu est de pouvoir créer des ponts entre les différents services, d’harmoniser et de simplifier les pratiques. C’est dans cet esprit qu’elle réfléchit à l’organisation des remplaçantes internes afin de respecter les quotas très stricts en termes de garde d’enfants en bas âge.
A nouveau, elle commence par écouter. La fonction d’éducatrice remplaçante est relativement mal valorisée, avec un taux de rotation élevé. Cette incertitude provoque des tensions dans les équipes. Depuis son arrivée, Caroline De Allegri s’est adjointe d’une assistante RH, d’une recruteuse et d’une cheffe de projets RH. Ensemble, elles créent et forment un pool de remplaçantes internes afin d’assurer la prestation. «Créer une fonction RH, n’est pas seulement une affaire de processus», dit-elle. Au gré des échanges et des ajustements mutuels, la sauce prend et l’organisation en ressort plus soudée, plus apaisée. A l’aise sur des sujets plus techniques, elle s’est également engagée à l’évaluation des modalités de mise en œuvre d’un SIRH.
Mission accomplie, elle rejoint ensuite l’Association ARAS Nyon qui lui propose un poste de responsable RH
à temps partiel (un 50% qu’elle occupe encore aujourd’hui). «J’avais aussi envie d’avoir plus de temps pour mes activités de conseils RH.» Du côté de l’ARAS Nyon, c’est tant sa personnalité que sa capacité à professionnaliser l’unité RH qui a séduit. Caroline De Allegri incarne la transformation de la fonction RH dont tout le monde parle depuis vingt ans. Elle dit: «Ce que j’aime, c’est d’emmener les RH d’une approche employé de commerce et chiffrée» vers une meilleure compréhension de l’humain en interaction avec les autres dans un environnement de travail. C’est une tâche subtile, comparable à l’éducation d’un enfant. Cela prend du temps, exige de la répétition, avec sincérité et conviction.»
Nous touchons là au cœur du style De Allegri. Elle détaille: «J’aime les gens. Je parviens toujours à voir chez l’autre un point commun, une porte d’entrée vers la relation ou la situation. C’est ma nature profonde.
J’ai toujours eu cette curiosité de l’autre. A la base, les gens ne sont pas mal intentionnés. Mon rôle est de déconstruire et de comprendre.»
A l’association ARAS Nyon, elle siège au comité de direction, avec le directeur, la responsable finances et la secrétaire de direction. «Nous avons une bonne cohésion et une vision commune, essentielles pour créer une fonction RH cohérente.» Dans ce nouveau job, le défi consiste à mettre au goût du jour certaines pratiques et questionner des habitudes. A nouveau, elle prend le temps d’écouter et ose aussi mettre le doigt sur les sujets plus délicats. «J’ai toujours été assez réactive. Si je sens un malaise, j’en parle tout de suite. Si ce n’est rien tant mieux, mais ce n’est rarement rien.»
Trouver sa voie
Elle tire cette réactivité de son père, un self-made man, entrepreneur touche-à-tout dans le secteur informatique, as de la vente et du développement d’affaires. Le grand-père paternel a fondé l’entreprise Clotura (fabricant de clôtures, depuis revendu et renommé Clotura New Tec SA). De sa mère, issue d’une famille d’agriculteurs, (femme au foyer et secrétaire), elle apprend le non-jugement, la douceur et la simplicité. Caroline De Allegri est l’aînée de trois sœurs. Elle étudie les langues modernes au gymnase de Chamblandes à Pully et choisit ensuite la psychologie du travail à Neuchâtel, car «je voulais devenir orienteuse professionnelle».
Mère d’une fille de douze ans, elle est passionnée de quête intérieure, pratique le yoga et s’inspire de méditations. En guise de formation continue, elle consomme des coachings, des livres et des TedTalks, avec un intérêt marqué pour le développement personnel. L’entretien touche à sa fin.
Une dernière question: une fois la fonction RH en place, quelle est l’étape suivante? Elle réfléchit longuement: «Tout le monde parle aujourd’hui de transformation digitale. A mon avis, celle-ci se fera uniquement si vous transformez d’abord l’individu. De mon point de vue, la fonction RH devrait accompagner les individus dans cette transformation intérieure. Les RH sont souvent instrumentalisés par les financiers pour augmenter le profit. Je ne suis pas de ceux-là.»
Texte: Marc Benninger, Rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.